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Chemins, passages et autres méandres

d'une vie mouvementée

Je suis né un lundi soir en 1961 avec trois semaines d’avance sur la date prévue. Je n'avais même pas encore de nom. J'ai grandi sous le regard bien veillant de mes parents dans la campagne bernoise où ma famille - grand-mère y comprise - habitait une grande et vieille maison au milieu d’un parc sauvage, ce qui me laissait plein d’endroits dehors et dedans pour me cacher du monde et rêver. C’est d’ailleurs ce que j'ai fait la plupart du temps car je détestais jouer au ballon ou me livrer à d’autres activités avec les garçons du village. Leurs jeux me semblaient bien trop physiques et dangereux.

 

Après ma scolarité et quelques mois de voyage, j'ai atterri en Suisse Romande, région linguistique que visiblement mon grand-père paternel avait laissé derrière lui en effaçant ses traces…

 

je me suis essayé en tant qu’éducateur auprès de personnes gravement handicapées et j'ai obtenu mon diplôme universitaire en pédagogie curative clinique en 1987, pour faire de moi un travailleur social avec reconnaissance institutionnelle. Un de ceux pour qui aider est une manière de chercher de l’aide pour eux-mêmes.

 

 

C’est pendant ces années-là que l’urgence de vie m'a rappelé à mon corps et après une année de mime, un coup de foudre m'a amené à la danse africaine, la danse contemporaine et finalement à la découverte du Contact Improvisation. Robin Feld s'est donnée alors une peine folle pour m'apprendre quelques notions de base de cette danse que j'arrivais à concevoir dans ma tête mais pas à vivre dans son corps.

En 1989,  j'ai enfin décidé de laisser toute ma vie derrière et de partir pour Berlin dans l’idée de me consacrer pendant un certain temps à l’apprentissage du corps et du mouvement. Je suis arrivé dans cette ville juste à temps pour assister à la chute du mur entre l’est et l’ouest. En même temps que la géographie mondiale a changé avec une rapidité incroyable, ma géographie intérieure s'est mise en mouvement, des frontières tombaient et l’apprentissage par le corps a commencé à porter des fruits... pas seulement dans les studios de danse.

 

Fin 1989 à Berlin j'ai rencontré pour la première fois Steve Paxton qui – dans sa performance sur les Variations de Goldberg de Bach – m'a laissé une impression inoubliable et sans égale de simplicité et beauté dans le mouvement dansé.

 

L’année d’après j'ai fait mon premier stage avec Bonnie Bainbridge Cohen qui, par la suite, devient une autre référence, non seulement pour son incroyable travail sur le corps, mais aussi pour sa tendresse, disponibilité et générosité.

 

La même année j'ai commencé ma formation auprès de Linda Hartley et obtenu mon certificat en "Integrative Bodywork and Movement Therapy", en 1994.

 

Pendant ces années à Berlin j'ai reçu les premières propositions d’envergure pour enseigner la danse improvisée (surtout le Contact Improvisation) et fait mes premières apparitions devant un public en dehors des salles de spectacle. À Potsdam (à cet époque encore Allemagne de l’est) j'ai participé à l’occupation d’une usine tombée en ruines pour y faire naître un centre de culture alternative. C’est dans ce même lieu qu’avec ma propre compagnie j'ai donné naissance à la création du festival Potsdamer Tanztage, qui existe encore aujourd’hui.

Dès mon retour en Suisse, fin 1991, j'ai travaillé essentiellement en tant qu’enseignant de Contact Improvisation. Mais ce n’est pas avant 1994 et ma rencontre avec mon faux jumeau Martin Landert que mon travail prendra de l’ampleur. Ce dernier m'a accompagné dans beaucoup d'aventures, et ensemble on a dansé un nombre considérable de performances montrées dans plusieurs pays. C’est également avec lui que j'ai ouvert "le Phare", lieu de création d’habits, d’échanges culturels et de performances à Genève, dans les lieux d’un aujourd’hui célèbre bar du même nom.

 

À cette époque j'ai fait mes premiers essais de vidéo de mouvement, une piste que j'ai poursuivie, souvent ensemble avec Martin, pendant bien des années. Côté enseignement c'est depuis cette période que mes interventions pour des compagnies de danse, et dans des formations professionnelles ont gagné en importance.

 

Suite à notre séparation, j'ai profité de mon travail pour voyager à travers l’Europe en suivant les invitations pour donner des cours et des stages pour un public très divers dans une multitude d'endroits. En même temps j'ai continué de me former régulièrement auprès de Steve Paxton et Bonnie Bainbridge Cohen, pour ne mentionner que les maîtres ayant la plus grande influence sur mon travail. Mes voyages continuent – depuis 2007 - à me faire traverser l’Océan pour participer à des stages avec Lisa Nelson et encore Bonnie Bainbridge Cohen, plus particulièrement pour travailler avec elle au sujet de l’embryologie. À partir de 2009, c'est aussi  Anna Halprin que je vais trouver avec qui j'ai le bonheur d'entretenir une magnifique amitié qui dépasse de loin le cadre de l’enseignement.

Mais l’ennui des montagnes suisses à fini par me rattraper et la vie m'a proposé alors l’incroyable rencontre - sous un double arc-en-ciel – avec Alex Guex, montagnard accompli, qui lui avait envie de découvrir le monde du mouvement. Depuis ce jour, en avril 2010, on a fait du chemin en marchant, en rampant, parfois en dansant ensemble, à travers monts et vallées, se perdant dans le brouillard et se retrouvant dans le lit d’une rivière pour encore oser quelques pas. Jusqu'en novembre 2014 où une tempête de la vie semble définitivement nous séparer...

 

Mes ambitions sont devenues plus humbles, ma recherche plus poussée, mon mouvement plus simple, le partage plus sincère. La relation entre la danse et le quotidien a pris de nouvelles formes qui laisseront à tout jamais ses empreintes sur mon mouvement. Sur fond de cette relation'ai pu expérimenter de plus en plus avec les effets de transformation physique qui viennent avec l’âge et essayer de les inclure dans la danse de ma vie, tandis qu'un autre volet important de ma recherche et de mon enseignement continue à se questionner au sujet de l’origine et des méandres de la danse individuelle et unique de chacun de nous.

 

 

Le temps passe et les souvenirs ne remontent plus à la surface que sous forme de lointaines nostalgies. Heureusement la route devant moi m'ouvre également de nouvelles perspectives. Depuis quelques temps un grand élan me pousse à tisser une fois de plus des liens dans l'idée d'élargir mon champ d'action non seulement en ce qui concerne la recherche dans mes cours et stages, mais aussi en osant des performances, conférences et participations à des travaux filmés, toujours dans l'idée de donner une autre visibilité à ma danse si liée à mon quotidien. Une danse qui continue à se  nourrir par les enseignements des "petites gens" autant que de mes grands maîtres et de ma propre recherche et expérience. Une danse en constante transformation cherchant son équilibre de forme et fluidité. Une danse qui cherche son apaisement. Une danse qui me traverse sans m'appartenir vraiment. Une danse qui ne peut rester vivante que partagée avec autrui.

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Et puis, un jour, Joseph vient frapper à ma porte. Il se présente humblement comme une personne qui aime jongler et danser. Il m'explique que de quelque sorte la vie l'a guidé vers moi et fini par me contacter après avoir pris la peine de soigneusement vérifier, si c'était bien moi qu'il avait envie d'inviter pour partager mes expériences en BMC®, en CI  ou en "ce que je voulais" dans son espace.
Une première rencontre, une ballade, un premier toucher... On s'est toute de suite reconnu l'un dans l'autre. C'était presque  insupportable.
Une autre fois on s'est mis à danser ensemble. Après une minute ou deux, ce duo a été interrompu et ni Joseph, ni moi on avait le courage de ne pas nous laisser faire. Tout ce qu'on a sauvé, c'est de nous serrer dans les bras une dernière fois.

Puis tout est allé si vite. Nos hésitations, mes excuses, la peur... De son vivant on n'a plus jamais dansé ensemble. Joseph a quitté notre planète avant qu'on ait eu le temps de véritablement s'apprivoiser mutuellement.

Sur les innombrables traces filmées et photographiées de la vie de Joseph, je n'apparais jamais au premier rang. Mais on existe et aujourd'hui il m'offre un soutien inestimable. Enfin j'ose nous rendre visible. Et réuni en un seul corps, le mien, on porte dans le monde la danse qui est devenue la nôtre.

 
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